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mercredi 9 février 2011
The Scar/Les Scarifiés - China Miéville
Néo-dickensien, victorien, baroque, New Weird ne sont que quelques uns des termes qui reviennent le plus souvent lorsqu'on s'intéresse à la prose de China Miéville que l'on voit ici absorbé dans l'édition grand format de "The Scar" avec une couverture à mon sens beaucoup moins réussi et fidèle à l'histoire que la version poche:
Si j'aime bien les "one-shot" et que l'idée de me replonger dans un monde imaginaire déjà connu ne me séduit pas particulièrement, c'est tout de même avec un plaisir certain que j'ai retrouvé l'univers de Bas-lag pour ce troisième roman, un monde qui m'a fait souvent penser à celui du Vieux Monde dans Warhammer avec ses cités tentaculaires, grouillantes, les monstruosités qui s'y tapissent, la menace sourde du Chaos qu'on appelle ici Torque.
Synopsis:
Belly Coldwine, l'ex du scientifique Isaac Dan Der Gremnebulin, un des personnages centraux de Perdido Street Station, fuit New-Corbuzon, où ses amis disparaissent les uns après les autres, pour se mettre au vert de l'autre côté de l'océan, dans la colonie new-crobuzonienne de Nova Esperium. Versée dans les langues mortes et traductrice de son été, elle est très attachée à sa ville et espère que son séjour reste aussi bref que possible. Elle s'embarque à bord du Terpsichora, un navire dont les cales sont remplies de Recréés, des criminels de New-crobuzon que l'on a châtiés en leur ajoutant par thaumaturgie de monstrueuses excroissances corporelles où même des implants mécaniques dignes du 19ème siècle.
Belly n'a pas prévu les aléas d'un tel voyage et son navire est bientôt abordé par des pirates qui capturent équipages et passagers pour les ramener sur une gigantesque ville flottante: Armada.
Armada est la véritable héroïne de "the scar". Ville légendaire et utopie libertaire qui contraste fortement avec une New-Crobuzon inégalitaire et autoritariste, elle est formée d'un gigantesque agglomérat de navires, de barges et de bateaux à vapeur de toute sortes qui forment des quartiers distincts.
Voilà une ville où chacun citoyen est en apparence "égal" et se voit automatiquement attribuer un toit et une place dans la société en fonction de ses compétences.
La réalité est évidemment plus complexe, et la ville, sous ses apparences de commune de Paris, est en fait aux mains des Amants et de leur fidèle homme de main, Uther Doul.
Belly va trouver très rapidement son utilité puisque la ville est à la poursuite d'une créature légendaire et que les traités à son propos sont rédigés dans une langue ancienne et rare sur laquelle elle a écrit un traité linguistique. S'en suit alors une quête éperdue à la recherche d'anciens artefacts surpuissants et de créatures mythiques sur les quatres mers de Bas-Lag.
Ce que j'en pense:
Là où l'action de "Perdido Street Station" se déroulait presque exclusivement dans les différents quartiers de New-Crobuzon, une version fantasy et hallucinée de Londres, Miéville choisit ici de nous faire découvrir son pendant maritime, Armada. Comme souvent avec cet auteur, l'environnement urbain dans lequel se déroule l'action est l'un des sujets principaux d'une oeuvre dont les mauvaises langues diraient qu'elle se lit comme un long guide touristique: Armada est une ville époustouflante, vieille de plusieurs siècles, constamment reformée et agrandie par l'adjonction de nouveaux navires. Elle possède une identité très marquée et est riche de traditions et d'un folklore bâtis autour de l'assimilation des nouveaux arrivants (tous les damnés de la terre). Constamment en mouvement, elle est alimentée par les rapines de grééments qui sillonent les mers à la recherche de butin.
Le fragile équilibre des forces en présence dans Armada est introduit avec finesse et l'histoire s'enrichit d'une série d'intrigues menées par des personnages aux motivations et aux agendas multiples.
L'écriture de Miéville est superbe. Dès le début, il dépeint avec minutie et virtuosité un milieu marin avec ses ombres et ses lumières, ses courants et ses dangers. Les descriptions sont fascinantes, évocatrices et font pénétrer le lecteur de plein pied dans un monde dont chaque image évoque un tableau impressioniste.
Miéville a un talent sans égal pour mettre en scène des créatures imaginaires originales et inoubliables: on retrouve avec plaisir les puissants hommes-cactus et les hommes scarabées. On découvre avec effroi les Anophelii, des moustiques humanoïdes exilés sur une île déserte après la chute de l'effroyable Empire Malarial.
Miéville crée chaque fois un biotope invraisemblable mais cohérent et les spécificités de chaque race ont une véritable incidence sur l'histoire.
Le casting intervenant au cours de l'histoire est riche: pour ne siter que les plus marquants on évoquera les amants qui forment à eux deux une entité indissociable, un monstre composé de deux corps humains qui vivent un amour bestial narré par les cicatrices de leur visage; mais aussi Tanner Sack, un Recréé libéré par Armada et l'archétype du syndicaliste épris de sa nouvelle ville et ingénieur de génie ou encore Sinnas Fennec, un espion new-crobuzonien manipulateur et charismatique.
En conclusion:
En général, les bouquins de fantasy racontent des histoires assez classiques. Les auteurs se contentent d'ajouter un vernis d'exotisme soutenu des patronymes légèrement déformés et une topographie qui évoque un ailleurs dépaysant (Arlen dans "The Warded Man, Isak dans "The Storm Caller") . Pour finir on saupoudre le tout d'une prophétie à deux balles où de chassés croisés amoureux interminables (je pense notamment à la roue du temps).
Loin de tout cela, Miéville propose une fantasy intelligente et profondément ancrée dans un univers haut en couleur. Car derrière ses apparences de roman d'aventure et d'histoire de pirate, "The Scar" reflète les conceptions politiques de son auteur. Le livre est dominé par les thèmes du pouvoir et de la liberté, de la prise de conscience par chacun de la portée de ses actes et de la manipulation des masses.
Toujours en porte-à-faux avec la fantasy commerciale, Miéville donne la part belle à l'érudition et àau culte du livre. Les principaux protagonistes sont des érudits, des académiques. Armada croule sous les livres rapportés d'innombrables expéditions pirates et à travers l'exemple de l'apprentissage de la lecture de Shekel, Miéville fait passer clairement son message en faveur de la culture lettrée.
Et c'est là où réside tout l'intérêt de l'oeuvre de Miéville. Dans un genre souvent connu pour des cycles produits au kilo et à la va vite, Miéville propose de de la fantasy intelligente, érudite même, portée par une écrite travaillée et littéraire avec derrière, un message politique fort évocateur d'Ayerdhal (Chronique d'un Rêve enclavé).
Il était temps!
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Je l'ai lu il y a un bon moment, et, de mémoire, j'en garde un bon souvenir !
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