samedi 5 février 2011

Andreas Eschbach - En panne sèche




J'ai profité d'un séjour de deux semaines en France pour acheter et lire "En panne sèche" un des derniers romans de l'écrivain allemand Andreas Eschbach dont j'avais déjà lu l'excellent "Des milliards de tapis de cheveux". Avec ce pavé de plus de 750 pages paru en français chez L'Atalante en 2009, Eschbach fait une nouvelle fois montre de son habileté en délaissant l'espace et le conte pour nous présenter une histoire très réaliste matinée de post-apo.
 

Présentation:
Même la dernière goutte d'essence permet encore d'accélerer. Mais pour combien de temps?
Cette phrase qui ouvre le roman "En panne sèche" d'Andreas Eschbach revient à plusieures reprises tout au long de l'histoire et résume très bien le credo actuel des grandes compagnies actuelles, "drill baby drill".

En panne sèche adopte une narration éclatée qui nous fait suivre plusieurs personnages aux destins croisés avec pour axe principal l'histoire Markus Westermann, un jeune allemand dynamique et entreprenant qui sort d'école de commerce et rêve d'Amérique et de fortune.
Profitant d'une mission de six mois aux Etats-Unis, il compte bien rester et créer son entreprise en utilisant "les idées et l'argent des autres". Alors que ses projets semblent tomber à l'eau, il rencontre par hasard un vieil autrichien, Block, qui affirme détenir une méthode révolutionnaire pour trouver du pétrole dans des zones où l'on a déjà cherché en vain. Markus a tôt fait de le persuader de s'associer à lui et entre en contact avec un fond d'investissement réputé pour obtenir des financements. Tout semble alors s'accélerer et Markus est persuadé d'être près de réaliser ses rêves.
Dans le même temps, Dorothea et Frieder, soeur et frère de Markus, vivent en Allemagne. Eschbach ne manque pas de mettre en relief le rôle que joue l'énergie dans leur vie: Dorothea et son mari Werner mènent une vie on ne peut plus dépendante de l'essence. Ils conduisent un gros SUV qui engloutit 12 litres au cent et achètent une villa luxueuse et inchauffable à trentes kilomètres du premier supermarché. Le grand frère a, quant à lui, fondé une entreprise qui fabrique des panneaux solaires d'un genre nouveau.
Charles Taggard est un agent de la CIA désabusé qui a  perdu sa femme et sa fille. et décide de tout quitter pour se rendre en Arabie Saoudite. Enfin, Abu Jabr est un membre éminent de la famille royale saoudienne. Ancien bâtard reconnu grâce aux efforts de sa mère, il se lamente de l'état de déliquescence et de sclérose dans lequel se trouve son pays, gorgé de pétrole et replié sur lui même.

Ce que j'en pense:
Utilisant avec habileté et modération les points de vue alternés et les analepses, Eschbach nous dresse le portrait d'un monde qui se vautre dans sa dépendance au pétrole et explique pourquoi l'or noir est devenu indispensable à presque toutes les industries (par exemple le secteur pharmaceutique où en dehors de l'aspirine, tous les médicaments occidentaux utilisent des composés à base de pétrole).
Car En Panne sèche se veut une histoire du pétrole et de sa géopolitique. Eschbach nous y conte la découverte des premiers gisements, comment personne n'avait compris son utilité au premier abord, comment le conflit israélo-palestinien a déclenché le premier choc pétrolier en 1970 ou encore la nature des relations entre les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite. On y explique aussi les mécanismes de fixation de prix du pétrole ainsi que des concepts commme le "pic pétrolier".
En tournant les pages de "En panne sèche", on se rend effectivement compte qu'on parle effectivement très peu de la fin du pétrole ou des chiffres de la production pétrolières dans les mass medias. Les estimations les plus diverses sur la quantité de pétrole abondent mais nous avons globalement tendance à vivre dans l'insouciance: la dernière goutte d'essence ne permet-elle pas d'accélerer encore après tout?
Objet d'un travail de documentation monumental, "En panne sèche" montre également le conditionnement des modes de vie modernes devenus dépendants d'une énergie peu chère et facile à manipuler ainsi que le lien entre l'augmentation de la population mondiale et une agriculture à fort rendement, une agriculture qui "transforme le pétrole en nourriture".

Manuel d'histoire du pétrole et de son rôle prédominant dans les sociétés humaines, "En panne sèche" est également un roman abouti qui bénéficie d'une narration parfaitement maîtrisée. Les changements de point de vue, une technique narrative qui a tendance à m'énerver chez des auteurs comme George R.R. Martin, sont ici opérés avec beaucoup de fluidité. Les éléments de l'histoire se mettent en place naturellement et on se retrouve bientôt à lire un thriller palpitant entrecoupé de présentations du background tout à fait pertinentes. Le roman est coupé en deux parties. La première partie relève du thriller corporate et la deuxième donne dans le post-apo. L'originalité d'Eschbach réside dans le fait d'avoir évité de donner dans le catastrophisme et de se complaire dans des pages et des pages de description d'un monde qui sombre dans la barbarie. Certes les choses vont d'autant plus mal que rien n'a été fait pour développer d'autres énergies, mais la société se réorganise tant bien que mal autour d'énergies alternatives dont on détaille le développement et le lecteur habitué au post-apo que je suis se retrouve étonné du sentiment de business as usual qui règne dans la deuxième partie du livre. Mettant en scène un petit village de fanatiques religieux qui décide de se couper du monde, on a même l'impression que Eschbach se joue des lieux communs du genre post-apo.
Seul point noir, l'intrigue est parfois trois bien huilée et on a l'impression qu'Eschbach en fait trop pour faire se recouper les fils de son histoire, surtout dans la deuxième partie. Certaines ramifications sont abracadabrantes et ne me paraissaient pas forcément essentielles.
Il n'en reste pas moins que c'est un roman intelligent et instructif, dont je ne saurais trop recommander la lecture.

1 commentaire:

  1. A compléter par le très stimulant Petrocratia de Timothy Mitchell, sorti récemment en VF : http://www.editions-ere.net/projet412

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